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TRIBUNE

Débat OGM : du scientifique au consommateur via l’agriculteur

par José Bové, Eurodéputé. Vice-président de la Commission agriculture et développement rural au Parlement européen
publié le 4 octobre 2012 à 19h06

Je ne suis pas scientifique et je ne me permettrais pas de m’imposer dans un débat sur la méthodologie à employer pour tester une variété de maïs OGM NK 603 créée par Monsanto sur les rats de laboratoire. La polémique enfle de jour en jour et dépasse les cercles des experts des technologies transgéniques. Les critiques fusent sur la variété de rats utilisée par M. Séralini et son équipe pour mener leur recherche. Les doses utilisées sont passées au crible. Et demain, d’autres critères seront également questionnés, comme la taille des cages, l’intensité lumineuse, la température des locaux et que sais-je encore.

Pour beaucoup, M. Séralini est clairement identifié dans la communauté scientifique comme étant «anti- OGM». De l'autre côté, M. Gérard Pascal, ancien chercheur de l'Inra, démontait dans une interview accordée à chaud au Monde le 20 septembre les résultats obtenus par son collègue sans avoir une connaissance suffisante de ces travaux. L'article ne précisait pas que M. Pascal était encore membre du conseil d'administration de The International Life Sciences Institute (Ilsi) en 2010. L'Ilsi est un lobby mondial de l'agroalimentaire qui regroupe les principales multinationales des biotechnologies. Dès septembre 2010, j'ai dénoncé le fait que Mme Banati, présidente de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) était également membre de l'Ilsi. Ce conflit d'intérêt était inacceptable. Après deux ans de pression Mme Banati a finalement démissionné de l'AESA pour devenir la directrice Europe de l'Ilsi. Dans la communauté environnementaliste, M. Gérard Pascal est clairement identifié comme étant un scientifique activiste pro-OGM.

Arrêtons de nous voiler la face, les scientifiques sont des gens comme les autres, influencés par leurs rencontres, leur parcours professionnel, leur sensibilité philosophique et politique et, comme bon nombre de salariés, par la peur de perdre leur emploi. Dans ces conditions, le postulat de l’impartialité de la science vole en éclats surtout lorsqu’il s’agit d’évaluer des technologies mises sur le marché par des acteurs économiques qui attendent des retours sur investissement en espèces sonnantes et trébuchantes qui se traduisent en brevets et en licences d’exploitation.

Pour rendre les choses encore plus complexes, les gouvernements ont peu à peu contraint les universités et les laboratoires publics à travailler en partenariat étroit avec les entreprises. Les chercheurs doivent maintenant faire tourner leur labo et payer leurs équipes avec de l’argent investi par des entreprises. La Commission européenne propose d’amplifier cette orientation avec sa proposition-cadre sur la recherche, Horizon 2020, qui renforce la privatisation de la recherche publique et la place encore un peu plus sous la coupe du secteur privé.

La controverse sur les résultats de l’étude de M. Séralini et sur les biotechnologies en général est salutaire. Elle nécessite une réponse urgente : faire de nouvelles études sur la toxicité des OGM sur deux ans, financées par des fonds publics et qui associent dans sa conception et sa réalisation des scientifiques pro-OGM et des scientifiques anti-OGM. Dans l’attente des résultats de ces travaux, la Commission européenne doit imposer un moratoire sur les OGM cultivés en Europe ou importés et suspendre l’adoption des futurs règlements sur leur évaluation.

Parallèlement, nous ne pouvons plus escamoter le débat sur des questions fondamentales pour l’avenir de nos sociétés soumises aux techniques. Comment construire ou inventer une expertise indépendante qui permette aux hommes politiques d’évaluer des risques potentiels inconnus ? Comment évaluer l’utilité sociale de ces technologies pour l’ensemble de la société ? Comment différencier l’emballement technologique et la recherche scientifique ? L’heure est venue de mettre autour de la table la diversité des champs du savoir pour élaborer les bases d’une expertise pour les OGM qui englobe à la fois la paillasse du laboratoire, le champ du paysan et l’assiette du consommateur.

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